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Réflexions politiques et socio-culturelles françaises.

Cinéma français : entre Astérix et Vaincre ou Mourir...

Cinéma français : entre Astérix et Vaincre ou Mourir...Cinéma français : entre Astérix et Vaincre ou Mourir...

  Coup de gueule. Alors que la dernière superproduction française est sortie dernièrement, l'envie me vient de râler comme un bon vieux Gaulois. Râler sur l'état du cinéma français qui n'évolue pas depuis de trop nombreuses années et se fiche de plus en plus de nous (spectateurs). Râler aussi sur son financement privilégié et très protégé qui le sclérose, ne se souciant du coup même plus d'attirer du monde en salles et d'être rentable puisqu'il est assuré par le CNC. Râler également sur la chronologie des médias que cela nous impose, les plateformes venant de plus en plus le bousculer mais ne pouvant être aussi flexibles sur leurs sorties qu'à l'étranger pour conserver son système de financement encore trop dépendant de la télé (souhaitant garder des exclusivités pour survivre). Râler enfin sur ce que ce système produit, à l'image des deux films que sont Astérix & Obélix : l'Empire du Milieu, dernier film live qu'on n'attendait plus de la franchise la plus lucrative du cinéma français, et Vaincre ou Mourir, film anti-républicain produit par le Puy du Fou et Canal+ (principal financeur du cinéma français). Et à la vue de ces deux productions, on peut se demander si le cinéma français mérite encore de vaincre (le cinéma américain) ou de mourir !...

 

Astérix, dernier espoir du cinéma français d'après Guillaume Canet (ça fait peur)...

  La promo du dernier Astérix depuis quelques mois s'est avérée très intensive... jusqu'à frôler l'indécence en faisant porter tous les espoirs futurs du cinéma français (en matière de grosses productions) sur ce film et le public, qui devrait impérativement aller le voir pour que les investisseurs en financent de nouveaux... Et quand on voit le résultat, on serait tenté de faire tout le contraire !

  On peut déjà se demander quel était l'intérêt de relancer la saga Astérix en format live après des films précédents très médiocres voire oubliables (Astérix aux Jeux olympiques en 2008 et Au Service de Sa Majesté en 2012) qui avaient en plus été des échecs commerciaux malgré leur box-office correct (du fait de leur budget très important). La saga était revenue au format animé (3D) grâce à Alexandre Astier (Le Domaine des dieux en 2014 et Le Secret de la Potion magique en 2018) et cela lui allait très bien.

  Là, non seulement Pathé et les ayants-droits héritiers de Goscinny et Uderzo ont lancé ce nouveau film, mais ils ont validé l'idée saugrenue de laisser Guillaume Canet le réaliser et surtout incarner le héros principal, ainsi que Gilles Lellouche remplacer Depardieu dans le rôle d'Obélix... Loin du casting franchouillard qui sied si bien à la BD dans le pourtant décrié premier film de Claude Zidi sorti en 1999, la distribution de L'Empire du Milieu a laissé place à la bande à Canet (voire la famille, soit son père et sa femme Marion Cotillard jouant Cléopâtre dans le film) et sa troupe d'acteurs bobos et d'humoristes en vogue "vus à la TV", accompagnés de tout un tas de guest stars qui n'ont plus grand chose à voir avec le cinéma (allant d'Orelsan et Angèle à Zlatan Ibrahimovic en passant par McFly et Carlito). Une formule reprise depuis Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre, qui reste le modèle à suivre depuis ses plus de 14 millions d'entrées en 2002, mais qui, semble-t-il, restera à jamais inégalé tant il avait réussi là où tous ses successeurs ont échoué...

  Ce qui me fait rappeler la déclaration qu'avait fait Jérôme Seydoux, PDG de Pathé, sur la direction que devait prendre le cinéma français au sortir du Covid, dans un contexte où les salles ont du mal à refaire le plein et où les plateformes les concurrencent fortement. Celui-ci avait déclaré que pour survivre, le cinéma français devait privilégier la qualité à la quantité. En gros ne plus produire autant de films mais privilégier les projets susceptibles d'attirer du monde. Le producteur de 88 ans disait également souhaiter produire plus de films à grand spectacle. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas dire que le dernier Astérix ait privilégié la qualité à la quantité (de vedettes en tous genres). Si c'est de cette qualité-là que parle Seydoux, le cinéma français est mal barré...

  Un cinéma qui, Seydoux le reconnaît lui-même, est aujourd'hui trop sclérosé et formaté par et pour la télé, qui le produit massivement (à commencer par Canal+, mais également les chaînes gratuites) et y refourgue ses vedettes à succès. C'est ainsi qu'on se retrouve dans Astérix, comme dans beaucoup de comédies françaises désormais, avec plus d'acteurs issus de la télé que de comédiens de cinéma ou de théâtre. Ce n'est plus le talent qui compte désormais mais le nom et la popularité dans les médias et les réseaux sociaux. Ce qui explique peut-être le nivellement de plus en plus vers le bas de notre cinéma, ainsi que son formatage télévisuel afin que les films aient plus de chance de faire de l'audience sur TF1 ou France 2 le dimanche soir.

  Sorti une semaine après Astérix & Obélix, Alibi.com 2 en est un autre exemple. Philippe Lacheau et sa bande sont dernièrement devenus les maîtres du box-office français en matière de comédie. Evidemment, le 1 a été rediffusé par TF1 pour profiter de la sortie du 2. Ainsi tout le monde est gagnant : la Une et la "bande à Fifi" !

  Mais ces quelques bons résultats au box-office sont l'arbre qui cache la forêt des nombreux échecs commerciaux du cinéma français depuis des années, qui sans le CNC aurait fait faillite depuis longtemps. Il n'y a qu'à voir le box-office français de l'année dernière (2022). Aucun film français (si on excepte le film d'animation Les Minions 2 réalisé par un studio français mais produit par Universal) n'est resté dans le top 10 de l'année, le premier étant Simone, le voyage du siècle qui a fini à la 12e place devant Qu'est-ce qu'on a tous fait au Bon Dieu ? (3e volet de la franchise en net retrait) à près de 2,5 millions d'entrées.

  Si la quantité de films français n'est pas à déplorer, la qualité de l'offre est rarement au rendez-vous et quand elle l'est, elle est rarement mise en avant, si bien que les bons films ne seront jamais rentables non plus, à part ceux à petit budget. Et tout le problème est là : le cinéma français a du mal à investir dans des projets d'ampleur, ayant toujours tendance à privilégier les comédies (ayant plus de chance d'être rentables) et drames sociaux (ne prenant pas trop de risques non plus) plutôt que les blockbusters, mis à part Astérix qui se base sur une grosse franchise ou le prochain diptyque des Trois Mousquetaires, énième adaptation du classique d'Alexandre Dumas que tout le monde connaît au moins de nom. Mais les rares films de genre (SF, fantastique), qui parfois arrivent à sortir du lot, restent trop limités en termes de budget et mal vendus pour espérer attirer du monde, souffrant en plus de la comparaison du cinéma hollywoodien qui ne lésine pas sur les moyens. Ces dernières années, même les films d'époque ou historiques ont du mal à émerger, alors qu'il y aurait de quoi faire... A part quelques exceptions comme le film dont nous allons parler à présent.

 

Vaincre ou mourir, ou le cinéma au service de l'histoire anti-républicaine

  Sorti une semaine avant Astérix, Vaincre ou Mourir est un peu un ovni dans la production hexagonale actuelle. Un film qui se veut historique et avec de l'ampleur (moins que Les Trois Mousquetaires cependant qui a bénéficié de plus de budget à vue d'œil), mais qui est sorti quasi-incognito en matière de promo. Là où le film a fait davantage parler par contre, c'est dans la presse qui l'a étrillé pour ce qu'il est et ce qu'il raconte. Signé Vincent Mottez et Paul Mignot, ce film raconte la révolte vendéenne de Charette, ancien officier de la Marine royale joué par Hugo Becker, contre l'armée républicaine ayant réquisitionné le peuple pour défendre la France de l'invasion en 1793. Un synopsis aussi bien historique que politique, prenant parti pour la révolte anti-républicaine de ce dernier, fervent monarchiste et catholique.

  Mais en plus de son intrigue qui fait intervenir plusieurs historiens en introduction pour faire de ce film un docu-fiction, celui-ci s'est aussi fait descendre pour sa production associant le Puy du Fou de Philippe de Villiers au Canal+ de Vincent Bolloré, deux fervents catholiques qui ont prouvé à maintes reprises leurs volontés politiques en soutenant et propulsant Eric Zemmour à la dernière présidentielle.

  Sa portée politique n'est donc pas innocente, encore moins quand on voit ce qu'elle raconte en proposant sa propre vision manichéenne de l'histoire révolutionnaire à la fin du XVIIIe siècle, revenant évidemment sur le supposé "génocide vendéen" dont certains se servent pour condamner notre régime actuel et regretter l'Ancien, comme si la Ve République ne mettait pas encore en exergue la verticalité du pouvoir, les inégalités et les privilèges sous une autre forme, le capitalisme ayant remplacé la noblesse et le clergé. Et pourtant, certains bourgeois comme De Villiers ou Bolloré en viennent à regretter la monarchie (voire l'empire napoléonien résultant pourtant de la Révolution) deux siècles plus tard. C'est dire leur anachronisme.

  Evidemment, le fait que la presse républicaine ait étrillé le film pour toutes ces raisons lui a fait un coup de pub à destination des sympathisants d'extrême-droite qui se sont rués dans les salles pour le voir, répondant ainsi à cette presse qu'ils qualifient "de gauche" (ce qui rassure quelque part sur le caractère républicain de la gauche, contrairement à eux).

 

Le financement du cinéma français : à revoir urgemment !

  Finalement, on peut se demander vers quelle misère se dirige le cinéma français entre un navet à 65M€ de budget s'appuyant sur des guest stars en vogue tout en exploitant la franchise préférée des Français, et un film au traitement politique de l'histoire clairement anti-républicain, produit par des gens proches de l'extrême-droite et un groupe (Canal+) exerçant une mainmise de plus en plus inquiétante sur le cinéma français.

  On avait déjà parlé des manœuvres politico-médiatiques de Vincent Bolloré depuis qu'il a repris Canal+ et ses chaînes TNT devenues presque des organes de propagande servant la soupe à la droite radicale. Mais Bolloré et ses sbires ne s'arrêtent pas là (notamment avec la radio et le monde de l'édition) et à travers son groupe audiovisuel, il a aussi droit de vie ou de mort sur le cinéma français en restant à ce jour son principal financeur. C'est ainsi qu'on en arrive désormais à produire et sortir des films comme Vaincre ou Mourir au fond politico-historique clairement provocateur. Et si toutes les productions de Canal ne sont pas encore vectrices d'un discours politique anti-républicain, on peut se demander ce qu'il en sera ces prochaines années et des pressions exercées par le groupe Bolloré sur la production hexagonale (sur laquelle il n'a pas encore le monopole, fort heureusement).

  Ca m'amène à un autre sujet qui y est assez lié : la chronologie des médias. Aujourd'hui encore, elle avantage Canal+ et les autres chaînes de télé dans la diffusion des films aussi bien français qu'étrangers (en premier lieu américains) au détriment des plateformes de streaming/SVOD* (Netflix, Disney+, Amazon Prime Video...) qui fleurissent depuis quelques années. La sphère médiatique a tendance à dire que ces plateformes sont un danger pour les salles de cinéma, et si c'est en partie vrai depuis le Covid où elles ont explosé faute de fermeture des cinémas, ces plateformes sont surtout un danger, ou au moins un sérieux concurrent, pour les chaines de télé ! Pour cette raison, ces chaines, et notamment Canal+, s'octroient un privilège d'exclusivité de diffusion sur les films sortis au cinéma par rapport aux plateformes, même si le film appartient au même studio que la plateforme. C'est ainsi qu'on retrouvera des Disney six mois après la sortie en salles sur Canal+ contre 17 mois sur Disney+.

  Une concurrence déloyale qui est justifiée par la sacro-sainte exception culturelle qui permet au cinéma français d'être financé. Sauf que le CNC redistribue déjà les très nombreuses entrées générées en salles par les films de Disney (dernièrement Avatar 2 et ses plus de 13 millions d'entrées, merci James Cameron). Ca devrait donc être suffisant pour qu'ils aient le droit de l'exploiter sur leur plateforme au plus un an après sa sortie. Mais non, Canal+ bénéficie de son monopole d'exclusivité en tant que "premier financeur" du cinéma français. Il prend donc le cinéma français en otage en même temps que les abonnés de Disney+ qui devront s'abonner à MyCanal pour voir les films Disney en exclu.

  Les chaines gratuites ont également eu le droit à un traitement de faveur, jusqu'à pouvoir faire retirer les films qu'ils veulent diffuser des plateformes. Tout ça est bien sûr justifié par la même rengaine, celle que les chaînes françaises financent plus le cinéma français que les studios et plateformes étrangères, merci à elles... Et si à la limite on peut estimer que Netflix et Amazon ne devraient pas avoir de traitement de faveur étant donné qu'elles ne sortent pas de films en salles, Disney est quand même un grand contributeur du cinéma français rien qu'en sortant des succès colossaux au box-office. Ce n'est donc pas son rôle de financer en plus la production hexagonale. On a déjà assez de chaines de télé pour ça...

  Et justement, ne pourrait-on pas trouver un autre système de financement pour éviter que le cinéma français dépende trop de cette télé ? Produisant des productions de plus en plus insipides et formatées pour celle-ci ? Et en permettant à des milliardaires mégalos et nostalgiques d'insuffler leur vision du monde sur des productions ? Pour retrouver de l'ampleur, de l'indépendance et de la qualité, il serait bon de repenser ce système de financement afin que notre cinéma ne soit plus formaté pour la télé, et ainsi que la télé ne prenne plus en otage notre façon de consommer les films à l'ère des plateformes de streaming. Car dénigrer ces plateformes (de plus en plus nombreuses en plus en ça) au profit des chaines de télé et du cinéma français ne sauvera non seulement pas ces derniers, mais en plus ne peut qu'encourager à nouveau le piratage que Netflix avait pourtant fait reculer.

  Reste à savoir ce vers quoi les professionnels du secteur vont s'orienter. Certains comme Guillaume Canet ont eu le culot de se présenter comme les sauveurs du cinéma français post-Covid. A mon avis, ce n'est pas avec le dernier Astérix qui se fiche éperdument du public avec sa formule opportuniste et mercantile qu'il va réussir à le sauver. Je ne pense pas non plus que le Puy du Fou et Canal+ soient la solution pour cela. Il serait donc temps que le ministère de l'Exception Culturelle y réfléchisse avant que les gens désertent de plus en plus les salles (sauf pour les blockbusters américains) et trouvent de toute façon un moyen de voir les films qu'ils veulent comme ils en ont envie, sans se soucier de l'exclusivité des chaines de télé et de Canal+. Et sans aller jusqu'au piratage, il existe désormais un moyen tout à fait légal et il tient en trois lettres : V.P.N.

 

*service en ligne de vidéo à la demande

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