Daenerys Targaryen, personnage au destin anti-féministe

Daenerys (Emilia Clarke), dans 'Game of Thrones' (2011-2019).

  Alors que le prequel de la série à succès Game of Thrones (House of the Dragon) a terminé sa première saison récemment, je souhaitais revenir sur un personnage de la série-mère. L'un de ses personnages principaux, dont on a suivi l'ascension de 2011 à 2019 et dont le destin a fait beaucoup parler et divisé au mieux, au pire été la cause principale des critiques du final de la série qui s'est faite complètement descendre en conséquence. Ce personnage, c'est bien sûr Daenerys Targaryen, descendante des roi Viserys et princesse Rhaenyra faisant l'objet du prequel venant de sortir. On notera d'ailleurs le rapprochement flagrant qu'on peut faire entre Daenerys et son arrière-arrière-...-grand-mère, qui va visiblement péter un câble comme elle, d'après le dernier plan sur elle à la fin du dernier épisode.

  Un pétage de câble qui s'est concrétisé en une seule saison (certes répartie sur plusieurs années) pour Rhaenyra, alors qu'il a fallu attendre 8 saisons de Game of Thrones (GoT pour les intimes) pour voir celui de Daenerys, avant ça presque présentée comme une sainte ou une demi-déesse mère de trois dragons. Et pourtant, le public a l'air de davantage accepter celui de Rhaenyra, lui donnant des circonstances atténuantes pour l'autoriser à brûler tout le monde dans la prochaine saison (pas attendue avant 2024), alors que voir Daenerys le faire dans l'avant-dernier épisode de GoT avait fait un scandale à l'époque de sa sortie. Peut-on dire pour autant que le personnage de Rhaenyra a été mieux développé pour mieux comprendre ses futurs actes de feu et de sang ? Ou les téléspectateurs fans de Daenerys n'avaient tout simplement pas accepté qu'elle brûle toute la capitale de Westeros y compris ses habitants, pour venger celles et ceux qu'elle avait perdus, la rendant moralement inapte à s'asseoir sur le Trône de Fer de son père qu'elle convoitait depuis tant d'années (au grand dam de ses fans qui n'attendaient que ça) ?

  Même si on peut reconnaître que son "passage du Côté obscur" pouvait paraître brusque et infondé, celle-ci décidant de réduire une ville en cendres alors qu'elle venait de se rendre, elle ne l'était pas tant que ça au final, et on peut trouver plein de raisons "immorales" justifiant ses actes, ou en tout cas tentant de les comprendre. Symboliquement, il y a l'argument de la purge et de la destruction pour mieux rebâtir. La ville en question, Port-Réal, a été expurgée du Mal qui la rongeait. On voit ce mal tout au long de la série (et encore dans son prequel), à travers ses bordels, sa violence, mais aussi ses trahisons, et globalement son peuple aux bas instincts qui a soif de sang, à travers des tournois ou des exécutions. On se souvient de la façon dont Ned Stark a été exécuté en fin de saison 1, le vil roi Joffrey s'appuyant sur sa soif de sang faisant office de tribunal populaire pour lui offrir sa tête. On se souvient également de la façon dont a été traitée Cersei (aussi détestable soit-elle) dans la saison 5 lors de son purgatoire. Un peuple à la fois soumis au Royaume et à la Foi qui le gouvernent et le mènent à la baguette. Pour ceux qui ont vu House of the Dragon (spoiler), on retrouve cette même docilité lorsque la Main du Roi place son petit-fils sur le Trône à la place de la fille du roi défunt (Rhaenyra), héritière désignée au Trône. De là à dire que le peuple mérite son sort d'être écrasé ou brûlé par un dragon, je n'irais pas jusque là, mais tout de même, il n'est pas complètement innocent.

  C'est une des raisons que Daenerys peut invoquer pour justifier (difficilement) ses crimes de masse. Le fait que cette ville ne l'acceptera jamais sur le Trône de toute façon, comme elle n'a pas accepté Rhaenyra (le prequel est un bon complément historique et scénaristique sur ce point), et qu'elle finirait peut-être par la trahir. Mais ce qui a été encore plus critiqué au final tient plus du ressort psychologique la concernant. La plupart des téléspectateurs (et l'entièreté de ses fans) n'ont pas accepté qu'elle puisse vriller ainsi, tout simplement parce que comme une partie des personnages de la série (ce qu'on peut qualifier de camp du bien, celui reposant sur l'honneur et une certaine éthique), ils avaient placé leur confiance en elle. Mais aussi, et je m'en suis rendu compte avec le recul, parce que ce personnage n'est autre qu'une femme. Et pour beaucoup (notamment un grand nombre de téléspectateurs et téléspectatrices féministes), il allait de soi que c'est Daenerys qui devait s'asseoir sur le Trône de Fer au final.

  C'était sans compter sur le caractère imprévisible de la série qui en a décidé autrement dans sa plus pure tradition. Si on avait voulu dès le départ que le Bien triomphe, Ned Stark n'aurait pas été exécuté et les Lannister auraient été tenus éloignés du Trône. Il n'en a finalement pas été ainsi, mais c'est en plus une autre femme qui s'est installée sur le Trône avant que Daenerys ne l'atteigne. Confirmant que la série est bien plus féministe que certaines veulent bien l'admettre. La violence qui y est dépeinte envers les femmes ne changera rien à ce constat. Le fait de montrer cette violence non plus. L'important, c'est le but recherché. En filmant Daenerys ou Sansa Stark se faire violer, le but n'était pas d'y trouver un quelconque plaisir, mais bien de trouver ça répugnant. Le problème d'aujourd'hui, c'est qu'on arrive à une ère où il ne faudrait plus rien montrer sous peine de choquer les plus fragiles, ou de donner de mauvaises idées à certains. Le biais intellectuel féministe visant à faire disparaître la violence (y compris d'œuvres fictives) pour l'éliminer est un mauvais moyen de la combattre à mon sens.

  Cette série et cet univers sont un miroir violent de notre monde, aux influences médiévales. Il n'est pas question de l'édulcorer ou le rendre prévisible. Le public est averti et doit s'y tenir, ou passer son chemin. La fin de GoT ne fait pas exception sur ce point. Il n'est pas question de taire toute critique, mais d'accepter que ce n'est pas parce que Daenerys ne monte pas sur le Trône de Fer que c'est une mauvaise fin. Ni une femme en général d'ailleurs, on l'a bien vu avec Cersei. 

  Parlons enfin de la psychologie du personnage, l'ayant conduit à vriller complètement dans l'avant-dernier épisode. Même si son destin n'était pas souhaitable, il était tout de même perceptible, au moins depuis le début de la saison, si ce n'est de la série. La jeune femme s'est tout de même considérée comme l'héritière légitime d'un Trône de Fer à reconquérir, mais aussi une sorte d'élue qui remettrait de l'ordre dans un Royaume se déchirant suite à la mort de son Usurpateur Robert Baratheon. Elle est aussi considérée comme une demi-déesse à partir du moment où elle fait naître trois dragons qui la suivront (presque) jusqu'à la fin. Psychologiquement, ce n'est pas ce qui la rendra humble et avenante en débarquant à Westeros. Selon elle, le Trône lui revient de droit, et elle est prête à détruire tous ceux qui se dresseront sur son chemin pour l'en empêcher, ce dès les premières saisons. Et ce malgré les crimes commis par son père, ayant conduit à sa chute. Bien qu'elle s'en défendait, elle s'avérera finalement comme lui, si ce n'est pire, sa parano l'ayant rendue folle. Est-ce parce qu'elle était une femme ? Non si on estime qu'elle a hérité cela de son père.

  Le fait est qu'elle a appris sur le tard qu'elle n'était finalement pas l'héritière légitime puisque son neveu Jon Snow (un autre Aegon Targaryen après celui usurpant le Trône de Rhaenyra) l'est en tant que premier héritier mâle. Un héritage certes injuste puisqu'il privilégie encore le sexe masculin et non l'âge. Mais c'est surtout la perte de certains proches, comme son lieutenant Jorah Mormont ou sa fidèle Missandeï, qui vont l'affecter. Sans parler de la perte de deux de ses dragons, ses enfants comme elle les considère. Bien que ce soit des créatures féroces, elle perd donc également deux enfants comme Rhaenyra avant elle, expliquant son caractère meurtri et instable. Ajoutons à cela une paranoïa qui s'installe lorsque ses alliés la trahissent en dévoilant à tout le Royaume qu'elle n'est pas l'héritière légitime du Trône, et Daenerys n'a d'autre choix, pour se faire respecter, que de commettre un génocide de masse.

  Un destin plus que tragique, mais finalement logique pour ce personnage, même si au fond de nous, on ne veuille l'accepter, y compris dans l'exécution. Aurait-il fallu un meilleur cheminement pour accepter son destin ? Peut-être, mais le biais est surtout du au fait que le public souhaitait qu'elle reste bonne et remporte le pouvoir en gagnant la guerre proprement, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. La bonne raison est qu'elle le méritait sans doute à la vue de son parcours, lui ayant fait passer tous les obstacles possibles. La mauvaise raison, c'est qu'elle l'aurait mérité en tant que femme et que ce ne soit pas logique qu'elle finisse par péter un câble, aussi proche d'un pouvoir qu'elle voyait déjà lui échapper, tout en ayant un pouvoir de destruction massive entre les jambes (sans mauvais jeu de mot : ce pouvoir, ce n'était bien sûr pas son sexe).

  C'est en ce sens que GoT est non seulement une série non-manichéenne, mais aussi quelque part, anti-féministe dans le sens radical du terme. Non, les femmes ne sont pas parfaites. Non, ce n'est pas le fait que Daenerys soit une femme qui l'a faite vriller ainsi. Simplement la soif de pouvoir, le deuil et la paranoïa qui l'ont affectée psychologiquement. C'est tout le caractère tragique de son destin, qui semblait pourtant pavé de bonnes intentions. Malheureusement, le grand public l'aura sans doute iconisée à l'excès, conduisant sans doute à cette déception et cette colère de ne pas la voir réussir dans son entreprise, aussi près du but. C'est ce qui rend pour moi cette fin de série tant décriée aussi forte, et finalement pleine de sens. A bon entendeur.