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Réflexions politiques et socio-culturelles françaises.

49-3 : pourquoi la Ve République doit être abolie

La concertation selon Elisabeth Born(é)e, Quotidien, 17/03/2023.

La concertation selon Elisabeth Born(é)e, Quotidien, 17/03/2023.

  Jeudi dernier, la Première Ministre Elisabeth Borne a décidé pour la onzième fois depuis moins d'un an (et la centième depuis sa création) "d'engager la responsabilité du gouvernement" en faisant passer sa réforme des retraites via l'article 49-3. Cet article de la Constitution, comme chacun sait désormais à moins d'être totalement déconnecté de la vie politique, permet au gouvernement d'entériner une réforme non-votée par l'intégralité du Parlement, c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat. En l'occurrence, Elisabeth Borne est passée outre le vote de l'Assemblée nationale, craignant que sa réforme soit rejetée par celle-ci.

  Il faut dire que depuis les élections législatives de juin 2022, le nouveau gouvernement d'Emmanuel Macron repose sur une majorité relative dans cette Assemblée, puisqu'en l'état, s'il s'agit du groupe majoritaire par rapport à tous les autres, le groupe Renaissance (anciennement LREM) reste minoritaire sur l'ensemble des sièges. Le gouvernement ne peut donc en l'état voter ses textes de loi sans faire des compromissions avec d'autres groupes, notamment d'opposition. Et le seul groupe susceptible aujourd'hui d'accepter des compromis, c'est le groupe Les Républicains hérité de Nicolas Sarkozy.

  Un groupe qui est en plus de cela majoritaire au Sénat, l'autre chambre du Parlement située au Palais du Luxembourg. Le paradis sénatorial (à défaut de fiscal) comme j'aime à l'appeler. Une chambre qui échappe à la volonté et aux intérêts du peuple, visiblement, puisqu'elle n'est pas élue au suffrage universel direct et n'est plus vraiment représentative du paysage politique actuel. Mais elle sert néanmoins de chambre de survie aux anciens partis gouvernementaux (LR et le PS), qui ont été balayés aux dernières élections.

  Malgré cela, cette chambre a cru retrouver sa part de légitimité en votant un texte porté par un gouvernement minoritaire à l'Assemblée et rejeté par une majorité de Français au gré des sondages. Et ceux qui l'ont voté (la majorité LR) se sont même félicités de leur prétendue sagesse et leur sens du dialogue face au cirque proposé par l'opposition du Palais Bourbon. C'était bien entendu de bonne guerre. Mais on peut aussi estimer que lorsque l'Assemblée devient finalement délégitimisée par ce gouvernement pour voter les lois (alors que c'est son rôle), elle ne veuille plus respecter non plus la parole de ce dernier, à commencer par celle de la Première Ministre venue annoncer son énième 49-3 jeudi dernier pour une réforme si importante et impactante pour les Français.

  Pour ce gouvernement finalement, et la plupart des précédents sous cette Ve République (mais encore plus depuis Emmanuel Macron), la démocratie se joue apparemment tous les cinq ans. Mais en-dehors de l'élection présidentielle, voire des élections législatives, c'est la dictature de la majorité, même relative. L'Assemblée est bafouée depuis trop longtemps dans ce pays, à tel point qu'on se demande à quoi elle sert si le gouvernement peut réformer par 49-3 successifs. La représentation du peuple est méprisée, et lui avec. L'Elysée et Bercy jugent que la réforme est nécessaire et même si le peuple n'est majoritairement pas d'accord, c'est pour son "bien".

49-3 : pourquoi la Ve République doit être abolie

  Voilà donc la vision de la démocratie qu'ont nos dirigeants actuels, réduits à de simples technocrates comptables qui gouvernent contre la volonté du peuple "pour son bien", ou plutôt pour "éviter le pire". Le gouvernement est borné (sic), et n'a visiblement aucun compte à rendre, si ce n'est celui du budget de l'Etat qu'il ne fait que gérer, sans se soucier des conséquences sociales d'un pays dont les services publics s'enlisent de plus en plus, sans jamais que ces mêmes dirigeants fassent suffisamment pour l'éviter, comme si c'était une fatalité.

  Une politique comptable et libérale qui est finalement la même à peu de choses près depuis une vingtaine d'années (malgré le retour de la gauche au pouvoir entre 2012 et 2017). Une méthode de gouvernance qui s'enlise quant à elle et devient de plus en plus brutale, rappelant le pire des années 80 dans les pays anglo-saxons. Une dérive à la fois autoritaire et libérale (se mariant très bien) du moins sur le plan économique, qui privilégie l'austérité budgétaire et les mesures anti-sociales plutôt qu'une meilleure répartition des richesses. Et toujours l'économie à protéger pour justifier cette politique. Car oui, finalement, ce sont les riches investisseurs qui ont le pouvoir et droit de vie et de mort sur notre pays. Une politique un peu plus socialiste et ils menacent de fuir le pays pour aller ouvrir un compte en Suisse (ou dans un paradis fiscal, s'ils ne l'ont pas déjà fait). Le patriotisme est finalement très limité lorsqu'il s'agit de conserver sa fortune et/ou son empire industriel ou commercial.

  L'oligarchie fait la loi dans ce pays, et le gouvernement Macron/Borne en est le digne représentant. Et la Ve République permet finalement à ce système de perdurer, avec son Sénat composé majoritairement de bourgeois LR proches des grands patrons et ardents défenseurs du système capitaliste. La majorité gouvernementale et les LR n'ont eu de cesse de défendre la légitimité des institutions de la Ve pour défendre leur texte, forcément. Mais ces institutions demeurent-elles légitimes lorsqu'elles vont à l'encontre de la majorité du peuple ?

  La Ve République a été fondée par De Gaulle, il y a plus d'un demi-siècle. Un régime et un homme qui restent encore majoritairement respectés (voire vénérés) par les élus qui y siègent, avec tous les avantages que ça leur procure. Mais ce régime est devenu obsolète depuis au moins dix ans et il serait temps que ces élus s'en rendent compte avant que cela ne parte en cacahuète. Le peuple n'est pas écouté, l'abstention atteint des records, le dialogue social n'existe plus et à présent même le Parlement est bafoué, laissant finalement tout pouvoir à l'exécutif du moment qu'une motion de censure n'est pas votée à son encontre. 

  Une dérive autoritaire qui rappellerait presque la République de la prélogie Star Wars, pour ceux qui ont la référence, le dirigeant en place acquérant les pleins-pouvoirs au Sénat avant de ne plus les rendre et de transformer la République en Empire tyrannique. L'autre pendant dangereux que peut amener ce genre de régime est bien sûr la violence dans la rue, voire la révolte, seul moyen de faire vaciller le pouvoir, on l'a vu en 2018 avec la crise des Gilets jaunes.

  La Ve s'appuie finalement sur un seul dirigeant, tel un roi prenant le pas sur le Parlement. Un régime finalement pas si différent de l'Ancien, qui s'en rapproche, même. Un régime quasi-monarchique et absolutiste choisi pour en finir avec l'immobilisme parlementaire de la IVe République, comme souvent rappelé par ses défenseurs... Rappelons que la IIIe République était aussi parlementaire, et elle a duré 60 ans sans trop dysfonctionner (du moins jusqu'à ce que Pétain l'abolisse pendant la Seconde Guerre mondiale).

  Et ne vaut-il pas mieux obliger les parlementaires à s'entendre quitte à risquer un certain immobilisme, plutôt que de passer les lois en force en se passant de vote ? Dans d'autres pays tels que l'Allemagne ou en Europe du Nord, l'absence de majorité pour un seul parti oblige les groupes politiques à faire des compromissions pour gouverner ensemble. Et sinon retour aux urnes jusqu'à trouver une majorité. Avec un peu de bonne volonté, on peut former un gouvernement avec des compromissions, sans avoir besoin d'effacer les partis "de gouvernement" en créant un grand parti unique de pouvoir central comme LREM ou Renaissance à présent (reléguant les oppositions aux extrêmes, et donc empêchant toute alternance, comme c'est pratique !). La démocratie ce n'est pas ça. Ce n'est pas effacer les clivages. Ce n'est pas non plus faire croire qu'on écoute le peuple ou les partenaires sociaux en confondant communication avec concertation et dialogue social. C'est encore moins être élu deux fois face au Rassemblement National et faire croire que cette élection et les réformes qui en découlent ont reçu l'assentiment d'une majorité du peuple, alors qu'elles s'appuient sur le chantage du barrage à l'extrême-droite.

  Aussi soi-disant "sacrées" que soient les institutions de la Ve République, je ne vois pas en quoi elles devraient être encore respectées (comme l'exige notamment la majorité gouvernementale) lorsqu'elles vont à l'encontre de la volonté non seulement de la démocratie populaire, mais également de la démocratie représentative ! Personnellement, je n'ai plus envie de respecter ces institutions. Je n'ai plus envie de respecter un régime, je n'ai pas peur de le dire, de plus en plus autoritaire. Quitte à risquer l'immobilisme démocratique, je le préfère à l'autoritarisme présidentiel. Il est donc plus que temps de changer de République, et de se défaire d'un régime quasi-autocratique hérité d'un personnage qui a désormais plus sa place dans les manuels d'histoire que dans notre héritage politique. Mort à la République autocratique des boomers, place à la République démocratique des jeunes !

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