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Réflexions politiques et socio-culturelles françaises.

"Gagner sa vie"

Le théorie du ruissellement.

Le théorie du ruissellement.

  Je poursuis ici ma réflexion sur le travail, cette "liberté" d'après certains. L'expression qui revient souvent, et qui témoigne bien de l'asservissement au travail que la société impose à notre existence pour en faire partie, c'est cette célèbre formule : "gagner sa vie". Il n'y a rien de plus révélateur que cette formule entrée dans les mœurs, et qui nous paraît (en tout cas à une grande majorité) désormais totalement logique et normale. La vie ne serait pas acquise d'après elle, même après la naissance. Notre existence devra dépendre de notre travail pour subvenir à nos besoins. Que ce soit matériels, mais aussi alimentaires, donc de subsistance.

  Certes, il existe aujourd'hui des associations humanitaires, seules à même de pouvoir nous sauver en cas de situation extrême. Mais la société ne s'occupera pas de nous dès lors que nous rompons le contrat de travail avec elle. Le travail est donc le seul à même de nous permettre de vivre, ou de survivre, une fois arrivé à l'âge adulte. Il détermine par le mérite, notre condition d'existence. Quelqu'un qui ne travaille pas, et surtout qui ne veut pas travailler, ne mérite pas de vivre. En tout cas en société. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.

  Cette mentalité bien implantée dans les mœurs dépend toujours de la réciprocité du travail, qui nous asservit tous collectivement, aussi bien par égoïsme que jalousie. Personne ne travaillerait s'il avait le choix. Mais la conscience collective fait que nous nous asservissons nous-même pour ne pas être mal vu par la société. Certes, la plus belle raison de ce dévouement au travail, c'est bien celui d'être utile à la société et aux autres. Une raison totalement désintéressée.

  Mais pour certains, le travail est surtout vu comme un moyen de s'enrichir personnellement, et de se mettre définitivement à l'abri du besoin. Une raison qui peut se comprendre, sauf quand il asservit et/ou appauvrit dans le même temps d'autres personnes. Car il ne faut pas se leurrer, le marché du travail est compétitif, comme le reste. Il y a les winners et les losers. Et dans une société influencée par l'état d'esprit américain du leadership, le winner a toujours raison, et le loser toujours tort.

  Là où on peut remettre en cause ceci, c'est justement à la lumière de l'utilité du travail effectué par une personne qui crée plus de dégâts sociaux qu'il ne crée de bienfaits. S'enrichir indéfiniment sur le dos des autres, quelque soit le nombre d'emplois que l'on crée, n'est en rien bénéfique. Surtout si les emplois proposés sont marqueurs d'asservissement, par leurs conditions et leur précarité. Sans parler des dégâts environnementaux que cela peut causer, en fonction bien sûr de l'activité.

  Face au winner qui réussit sa vie en détruisant celle des autres, en les asservissant, on se demande alors quels seraient ses revenus sans l'asservissement de tous ses salariés. Il justifie sa richesse par l'emploi qu'il donne aux autres, simple marqueur de son bénéfice à la société, en oubliant tout le reste. Aussi bien que soit son propre job pour lui, il crée des jobs de merde pour bon nombre de gens qui sont contraints d'aller travailler pour lui pour subvenir à leurs besoins. La plupart des salariés, bien conditionnés par la nécessité du travail, diront officiellement qu'ils sont heureux de travailler pour lui. Mais aucun n'irait travailler s'il avait réellement le choix, ça j'en suis certain. Ils tentent donc d'y trouver un bonheur relatif, un sens à leur existence, en se mentant peut-être à eux-mêmes. Tout dépend bien sûr aussi de l'utilité réelle du besoin qu'ils créent pour la société. Il se peut que celui-ci soit très relatif. Mais ils ont un salaire à l'arrivée, c'est ce qui compte pour manger.

  On se réjouit donc aujourd'hui d'être asservi en tant que salarié par des entrepreneurs qui auront créé quelque chose à vendre. L'économie fonctionne ainsi. C'est le credo du secteur privé. Les entrepreneurs et chefs d'entreprise sont donc les seuls à même de subvenir à l'existence du reste de la population. C'est le rapport winners/losers qu'entretient la société pour que l'économie continue de croitre et donne des emplois afin d'occuper le peuple pour mieux l'asservir. Les salariés seront toujours des losers qui n'ont pas leur mot à dire. Et pourtant, ils conditionnent le succès et la richesse des entrepreneurs, qui ne seraient rien sinon, à part des créateurs d'idées plus ou moins novatrices et utiles.

  L'interdépendance est donc bien agencée pour conserver ce système, et pourtant, c'est toujours l'entrepreneur qui a le beau rôle dans la société. C'est certes de lui que part l'idée, il crée des emplois, mais ce n'est pas sur lui seul que dépend le succès de cette idée. Sans les salariés, son idée n'existe pas, ne se concrétise pas. L'entrepreneur a donc un besoin inestimable de salariés et de main-d'œuvre pour exister. Et ce n'est pas en traitant ceux qu'il veut embaucher de losers à qui on offre un travail (et donc une raison de vivre) qu'il va lui-même mériter du respect, et mériter de réussir, ni de gagner sa vie.  Son travail n'a finalement que peu de valeur face à la masse de celui des collaborateurs qu'il va embaucher pour concrétiser son idée.

  Quelle doit donc être la valeur du travail aujourd'hui ? Ne devrait-elle pas être rééquilibrée ? Certes, le créateur d'idée aura toujours un certain mérite, à ceci près que cette idée soit très utile pour la société. L'entrepreneur mérite bien dans ce cas un leadership sur sa création et un revenu plus élevé que les autres, jusqu'à une certaine mesure. Le problème aujourd'hui est qu'un besoin pas forcément utile, et parfois destructeur par bien des aspects, au niveau environnemental ou social (s'il détruit des emplois par ailleurs, chez des concurrents ou autre), peut quand même être une très grande réussite commerciale, et enrichir donc son créateur indéfiniment. Un constat difficilement acceptable moralement. Où est le mérite dans ce cas ?

  Par ailleurs, ceux qui font des dégâts sociaux et environnementaux via leur entreprise, par le jeu de la concurrence et du marché, seront également ceux qui ne veulent pas contribuer à réparer ces dégâts sociaux et environnementaux, en se déresponsabilisant. Quoiqu'il en soit, ceux-là même qui estiment qu'ils méritent leurs revenus exorbitants par l'empire commercial et salarié qu'ils ont créé, je leur répondrais que tout est relatif. Et s'ils estiment par ailleurs que les losers n'avaient qu'à être des winners, ils oublient que leur succès dépend de ces losers.

  Pour finir, je dirais que la société elle-même devrait revoir la définition du travail, qui ne devrait pas se limiter à "gagner sa vie". La mentalité capitaliste et néolibérale a tendance à penser que c'est cette motivation qui permet aux hommes et aux femmes de se dépasser pour créer de nouvelles choses. Je n'en suis pas convaincu. On peut être motivé pour créer des choses qui serviront à la société sans que l'appât du gain en soit la finalité principale. Autrement dit, créer un besoin inutile juste pour s'enrichir personnellement aux dépens des autres, je n'y vois pas d'intérêt collectif.

  Le travail devrait donc ne pas être conditionné par l'appât du gain, et la subsistance ne devrait pas être conditionnée par le travail. L'adage qui veut que celui qui travaille le plus mérite de s'enrichir devrait être relatif, en fonction du fruit de ce travail. De même, celui qui se plaint que d'autres ne travaillent pas ou moins que lui, arguant que si lui y arrive, eux devraient y arriver sans se plaindre, fait preuve de la plus grande hypocrisie que je connaisse. Quelqu'un qui aime tant travailler ne devrait se soucier des autres, à moins qu'il se plaigne lui-même de plus travailler que les autres, et dans ce cas le problème lui incombe. Celui qui ne veut pas travailler ne méritera, certes, jamais de s'enrichir un tant soit peu. Malgré tout, il mérite de vivre, même en marge de la société et avec des droits moins conséquents. Mais celui qui ne travaille pas n'a aussi pas forcément le choix, et subit la conjoncture économique, devenue parfois incompatible avec ses propres compétences.

  Quant à celui qui travaille moins, il en a tout à fait le droit, et mérite tout autant de subvenir à ses besoins. Celui qui décide de travailler plus doit assumer cela, et ne pas se plaindre de ceux qui travaillent moins. Je n'y vois finalement que de la jalousie bien hypocrite. Plus qu'envers quelqu'un qui s'enrichit indéfiniment. Ceux qui n'ont pas assez à manger ne rêvent pas tous de devenir milliardaire. Juste d'avoir assez pour manger. Je refuse de croire que tout le monde est attiré par la richesse extrême. Ceci est faux et est un biais intellectuel visant simplement à asservir la population. Car tout le monde ne pourra pas s'enrichir, la société ne pourrait pas se le permettre. On reste donc sur la configuration winners/losers, qui ne pourra tenir à terme. Car si ces règles du jeu injustes (conditionnant la vie de chacun) continuent trop longtemps, on va bien finir par ne plus les respecter.

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